ANALYSIS MENTOR
Guy Moreno
« Une Vision Clinique du monde des Humains et de L’entreprise »
3ème Partie : HISTORIQUE DE LA PROFESSION DE CONSEIL EN RECRUTEMENT EN FRANCE (depuis sa naissance à aujourd'hui 1960-2016)- EVOLUTION & IDENTITE- B-1/ Naissance / Premiers Pas/ Positionnement Marché (1964-1975)

             3ème PARTIE : HISTORIQUE PROFESSION RECRUTEMENT- ÉVOLUTION&IDENTITÉ               

                     B-1/Naissance/Premiers Pas/Positionnement Marché (1964-1975)

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« Les Hommes, à certains moments, sont maîtres de leur sort , et si notre condition est basse, la faute n’en est pas à nos étoiles , elle en est à nous même. » W. Shakespeare. (Jules César)

Un proverbe dit »Il faut rendre à César, ce qui lui appartient », c’est un peu ce que j’ai voulu faire apparaître dans ma première partie de l’Historique du métier de Recrutement.  Et si je n’ai pas inventé la « poudre du recrutement », il n’en est pas moins vrai qu’étant le premier opérateur privé, agissant en profession libérale, défiant le ministère du travail et de la main d’œuvre auquel appartenait le monopole du Placement, je fus celui qui a « inventé » un nouveau métier et ouvert le Marché dès 1964.

Âgé de 77 ans  à ce jour, et après avoir transmis en 2009, ma société de Conseil de Direction dédiée au Développement stratégique des RH et potentiel humain ( dont le recrutement et l’approche directe en font partie), « MORENO INTERNATIONAL/CONSULTING » à mes Fils, j’ai voulu témoigner de ce que fut le chemin de cette profession en tant qu’acteur majeur, et remettre certaines pendules à l’heure… et la première décennie qui vit  « le Bébé arriver » fut le théâtre  d’un combat dur  et compliqué que j’ai mené tout seul avec l’Administration de tutelle qui ne voulait rien lâcher de ce qu’elle penser être sa propriété et/ou sa raison d’être…

B-1/  L'EPOQUE 1964-1975 : Naissance/Premiers Pas/Positionnement Marché

Depuis une décennie, la France des années 60/70 est un pays qui, s’est plus ou moins bien reconstruit au travers de son histoire et d’un passé lourds de conséquences sur sa »résurrection », et qui survit à travers des crises et des avancées économiques et sociales et aussi politiques. En effet, après s’être relevé de la dernière guerre et s’être réveillé de sa politique de décolonisation avec la gueule de bois (Afrique, Indochine, Algérie), notre pays procédait à des restructurations profondes sur le plan  politique, social et économique.

Car,  tel est le contexte : homme de gauche, Pierre Mendès-France préconise - l’expansion des mécanismes du marché, - un interventionnisme plus marqué du patronat dans la préparation des plans industriels et économiques, - la mise en place par le Ministère des finances,  - de mesures d’initiation et d’encadrement de la croissance, - la volonté - enfin - de pousser les entreprises dans la voie de la restructuration.  - Il incite les entreprises à se moderniser, à standardiser, à rationaliser,  à se reconvertir.  Bref, avec une sensibilité de gauche, il pousse le pays à sortir d’un certain « humanisme protecteur d’un point de vue économique  et social»(enfin rien de bien nouveau à l’horizon d’aujourd’hui !!)

Ce faisant  il récupère des charges improductives liées aux dépenses militaires, et  les transfère vers des investissements productifs. Une façon de conduire le pays vers une expansion qui permettra de se reposer sur des fondations économiques et financières saines. [ Car comme de bien entendu, les bonnes consciences pacifistes, les objecteurs de conscience et déjà la pensée unique, de Gauche et le tout gauchisant  pensaient être libérés de toute la "Bellicositude guerrière" et donc Point de Défense Nationale, point n'est besoin de se défendre, la "bisounoursitude" nous envahissait subrepticement!!!]

Ainsi, durant cette période, on a pu assister à une restructuration et un contingentement européen de l’industrie de l’Acier, du Charbon, du Pétrole, de l’Electricité, mais aussi par exemple au « RAJEUNISSEMENT » de la Haute Couture française et l’ECLOSION  du « new french style » qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

C’est également l’époque, chez Kodak, de la naissance du « technicolor », et chez I.B.M de celle du premier ordinateur. Sans oublier celles de la FNAC et du CLUB MÉDITERRANÉE, deux entreprises qui témoignent de l’essor des loisirs destinés à la Catégorie socioprofessionnelle des « cadres ». On assiste aussi à la modernisation des entreprises nationales : La S.N.C.F., EDF-GDF, la Régie Renault  et la  survenue d’avancées sociales telles la troisième semaine de congés payés, et enfin sans oublier les progrès de l’aéronautique qui met en œuvre la « Caravelle ». On ne peut imaginer le foisonnement de ces décennies de réveil d’un pays qui accouchent prématurément et/ou avec maturité de nouveaux nés divers et variés tant au plan des idées, que des avancées techniques/technologiques, que de concepts prêt à porter et bien d’autres choses sur les mœurs sociales : c’est le jaillissement de ressources naturelles en Algérie (Pétrole et Gaz) ; en médecine la découverte de la pilule ,  la création d’entreprises comme Moulinex.,  la naissance de la pile alcaline ou l’arrivée de la chimie dans le prêt-à-porter… Dans le prolongement du Traité européen  c’est l’organisation des marchés de l’acier et du charbon,   la signature du traité de Rome, la conquête de l’espace par le Spoutnik Russe…

Le Général de Gaulle revient donc au pouvoir dans une France profondément transformée et modernisée. Et la Vème République naîtra bientôt de l’instabilité ministérielle chronique, des guerres coloniales, de l’inflation galopante ou encore du déficit budgétaire. ( ce qui est stupéfiant c’est  de vivre 2016  -- et de regarder  donc les 4 décennies qui l’ont précédés--  qui nous laisse quasiment, --certes à des choses et circonstances différemment vécues-- dans une situation politique, économique et sociale  identique !!!)

La croissance survenue pendant les années cinquante a donc profondément et durablement transformé notre pays. Une véritable révolution verte a touché le monde rural dans lequel la mécanisation s’est généralisée. Dans son analyse, le journal Les Échos relève que : « la consommation d’engrais chimiques a doublé de 1950 à 1959. Les rendements se sont envolés et la production globale de l’agriculture est passée de l’indice 100 (1948-1949) à 165 (1957-1958). Secteur archaïque, elle est devenue en quelques années un secteur performant.  La vérité est que l’exode rural a libéré la main d’œuvre nécessaire à la croissance des autres secteurs. L’industrie s’est également développée au rythme moyen de 6 % par an, avec un considérable effort d’investissement. » L’industrie chimique, électrique, mécanique, automobile, et la construction se sont développées à un rythme soutenu. Intervient alors un accord entre patronat et syndicats, un accord qui donnera naissance à l’UNEDIC.

En matière de sciences, le rayon laser fait son apparition, la poupée « Barbie » révolutionne le monde des jouets et depuis quelques années l’instauration des congés payés favorise chez les salariés l’aspiration à se divertir et à se cultiver. Moralistes, sociologues et économistes s’en inquiètent déjà, considérant l’âge de la retraite trop précoce. Parmi eux pourtant, certains osent y voir une ère nouvelle pour l’épanouissement humain.

Toujours selon Les Échos, « un premier constat s’impose : vers 1850 la durée de la vie active s’étendait sur vingt-cinq à trente ans. Et si en 1959, l’entrée dans la vie active intervient six à huit ans plus tard qu’au XIXème siècle, la durée de vie a en revanche repoussé la fin de la vie active d’une trentaine d’années … Les Français travaillent donc en 1959 deux fois plus longtemps que leurs arrière-grands-pères. Depuis le début des années 30, et malgré la loi sur les 40 heures promulguée en 1946, on constate toutefois une stabilité de la durée hebdomadaire du travail.  En 1960, le rapport Rueff met en lumière les obstacles à l’expansion économique à partir de l’examen de situation de fait ou de droit. Mais ce rapport restera mystérieusement lettre morte.

Après la guerre d’Algérie, la France a donc sur le plan économique surmonté sans grandes difficultés le déclin de son empire colonial. Toujours selon Les Échos : « la décolonisation a d’abord conduit au repli en métropole de la plupart de 1.745.000 Français qui vivaient Outre-mer en 1954, dont près d’1 million de personnes en Algérie. Loin de constituer une catastrophe pour la France, l’afflux d’une population qui s’est facilement « reclassée » dans une économie en pleine expansion, a été un facteur supplémentaire de dynamisme. Cela, par un apport en main d’œuvre et en création d’entreprises, mais surtout par le supplément de consommation représenté. »

La perte du marché colonial qui, en 1958, absorbait 37,4 % de nos exportations devait s’accompagner d’une grave crise économique et sociale. Là encore, les pronostics pessimistes ont été déjoués. Depuis le début des années cinquante en effet, une réorientation progressive du commerce extérieur s’est opérée. Si, de 1952 à 1961, les expéditions destinées aux pays de la « zone franc » ont augmenté de 55.7 % en francs courants, celles à destination des pays étrangers ont progressé de 218 %. La croissance est particulièrement dynamique avec les pays européens dont la part totale des exportations françaises passe en 1961 de 38,8 % à 56,1 %.  Enfin, la fin de l’ère coloniale correspond aussi à l’envol de la consommation intérieure. En 1963, surgit une lourde crise sociale et économique  celle des « Charbonnages de France » dont les difficultés ébranleront fortement le corps social national, l’avenir des mines restant précaire.

Le 13 juillet 1967,  le Général de Gaulle décide alors de recourir à « l’article 38 », article qui permet de mettre en place et sans délai, des réformes jugées indispensables en pratiquant sur ordonnance.  Quatre domaines  y  sont jugés  prioritaires : --Les restructurations industrielles,-- L'Agriculture,-- Le Financement de la Sécurité sociale, -- L'emploi ( fort à l'époque de 400.000 chômeurs). L’ordonnance promulguée tient à trois objectifs principaux :

•        Favoriser une meilleure transparence du marché de l’emploi.

•         Renforcer la mobilité et l’adaptabilité professionnelle des salariés.

•        Mieux protéger les travailleurs victimes du chômage.

Mais naît surtout à cet effet l’Agence Nationale Pour l’Emploi, un nouvel établissement public devenu célèbre et dont le rôle premier est de faciliter l’information et d’accélérer le placement des demandeurs d’emploi. Sa méthodologie est donc de prospecter les entreprises afin de collecter les offres d’emploi disponibles, puis de les diffuser par zones sur l’hexagone. Orienter les demandeurs d’emploi sur un poste, et au besoin sur des formations professionnelles adaptées, est la mission historique de l’ANPE. Par contre en retour les entreprises ont obligation de déposer leur demande de personnel  auprès de l'ANPE quelle qu'elle soit. Là commencèrent quelques relations difficiles entre mon activité de Cabinet de Conseil en Recrutement libéral et l’Administration/ANPE qui entendait ne pas avoir  à partager le marché du travail et celui de l’emploi. Je venais depuis trois ans de me lancer dans l’aventure de la création d’entreprise et commençais à me poser des questions sur ce dilemme : persister ou arrêter ?

En effet, le « marché » - c’est-à-dire les entreprises -[ que je prospectais pour l'exercice de du job neuf de Conseil en Recrutement depuis 1964], était encore vierge et peu préparé à se délester de son pouvoir dans ce domaine qui touche le "choix des hommes, et qui plus est avec  des pouvoirs publics qui considéraient détenir le monopole du placement/recrutement. Et , si le Ministère du travail, de la main d’œuvre et de l’industrie desserrait son étau sur le marché de l’emploi, en nous laissant une ouverture, la distance sémantique entre « Recrutement et Placement » restait plutôt réduite. À quel moment le recrutement n’est-il pas du placement  et inversement ? Or, la législation en vigueur en France, à ce moment-là de notre existence  veut que le placement soit le monopole de l’Etat. Lorsque je commençais à travailler, de nombreuses tracasseries  avec l’administration du travail survinrent, souvent avec des mises en demeure d’interrompre mon activité… J’étais - paraît-il , et selon le Ministère de Tutelle en situation  illégitime et/ou illégale puisque Placement et Recrutement étaient des frères jumeaux selon leur définition se légitimant au principe qu’il s’agissait d’une action de service publique,  seule responsabilité  de l’Etat : en conséquence monopole.

Je dus donc avec  l’assistance d’avocat négocier et redéfinir les périmètres de notre activité métier aidé des quelques confrères qui m’avaient rejoint dans ce nouveau métier. Ainsi donc  des fonctionnements différents que l'on peut décrire ainsi :

* Outre ce que je disais plus avant sur leur fonctionnement ,  les bureaux main d’œuvre en 1965 (devenu ANPE en 1967) avaient pour mission d‘être seuls informés par les entreprises et destinataires de celles-ci de toute offre d’emploi à durée indéterminée et/ou temporaire,  qu’elle soit ? C’était une obligation pour l’entreprise. De même l’ANPE se devait de prospecter les entreprises pour recevoir toutes les offres en cours. Les opérateurs de l’ANPE devaient ensuite faire le tri de » ces offres et regarder dans leurs fichier de demandeurs d'emploi inscrits ceux dont l’expérience, les capacités  pouvaient correspondre et les mettre en relation avec les entreprises demandeuses… La part de sélection et de recrutement au sens noble et propre du terme n’existait nullement ici…Les opérateurs ANPE étaient des "Agents de Placement" et se devaient de faire le recensement des postes vacants au sein des entreprises, procédaient à des entretiens  avec les chômeurs dont ils s'occupaient et étudiait le degré de  correspondance existant entre aptitudes et expérience du demandeur et l'offre d'emploi entreprise. Et mettait en relation le demandeur et celle-ci

Par contre, le Recrutement exécuté par le cabinet, s’exerçait à partir d’un contrat  et/ou lettre mandat déclinant : -a) analyse du besoin de recrutement et définition de fonction,-  b)- recherche ciblée de candidat auprès de toute source de candidature existant et annonce,- c)-réception et sélection de candidats avec outils de sélection divers psychotechnique et/ou graphologie, entretiens,-d)- présentation des meilleurs candidats,-e)- aide à décision d’embauche,-f)- contrôle et suivi d’intégration.

À tel point que, pendant un certain temps, disons les premiers  dix-huit mois de mon exploitation(Janvier 1964 à mai 1965) il me fut impossible de passer aucune annonce sous notre nom. Nous passions ainsi des annonces domiciliées à l’époque chez Havas, ou au journal sous un numéro d’enregistrement… Puis fut enfin créée la première agence de rédaction d’offre d’emploi et recrutement, connue sous le nom de « Comtesse Publicité » et dont son fondateur, Pierre Lichaud, fit par la suite de nombreux émules. Ces agences de communication en offres d’emploi et en ressources humaines ont pour rôle de prêter leurs services aux cabinets de recrutement, ainsi que d’assurer la lisibilité, la traçabilité, la fiabilité des annonces, les chartes graphiques des cabinets. Elles sont donc le support et le lien entre le journal et le cabinet de recrutement. Au tout début, elles durent âprement disputer leur Positionnement (comme leur identité) vis-à-vis des journaux et des cabinets jusqu’ici « en direct » avec le journal comme toute autre entreprise. Les choses ont été rendues possibles grâce au fait qu’elles ne sont pas seulement restées des intermédiaires entre cabinet et journal mais, en tant que fournisseurs de services, se sont transformées en régulatrices de liens. On peut affirmer qu’à une certaine époque, les agences de communication en ressources humaines (quelle que soit leur réalité objective) se positionnaient au centre d’un marché et qu’elles fonctionnaient en marchands de flux financier, et ce quelle que soit leur valeur ajoutée. Elles récupéraient donc par le journal grâce (qu’on me pardonne ce raccourci) à une carte d’agrément de publiciste, une somme d’argent (15 à 25%) communément appelée « commission d’agence ». Elles en rétrocédaient ensuite une partie au cabinet dont elles assuraient le passage d’annonces. Ce système fut longtemps l’objet de négociations entre les journaux, les cabinets, les agences, jusqu’au jour où l’on imposa au fil des ans une régulation des acteurs comme des mœurs économiques.

De même, en regard de cette problématique majeure qui de tout temps a "falsifié" les comportements  des hommes et la vie des affaires, (à savoir « l’argent » et comment en gagner plus !), certains cabinets se sont laissés séduire par le sortilège de la « jupe sertie de dollars ». Ainsi beaucoup d'entre les membres de notre profession se sont investis dans la communication soit en créant leur propre société pour récupérer en direct les commissions d'annonces auprès des journaux, soit avaient choisi de participer au capital de sociétés de communication et d’offres d’emploi dont ils étaient clients pour leurs annonces, et en toucher les dividendes. Profitant ainsi des deux marchés à la fois, il n’est pas rare qu’ils aient perdu une grande part de leur objectivité… Comme de leur neutralité. Ce qui était dommage, hélas, pour image de pureté en affaire!!! On peut également avancer que certaines sociétés de communication et d’offre d’emplois offrent,  dans une attitudes de concurrence déloyale, des services nettement assimilés et propres aux compétences de l’expertise des cabinets de recrutement : sourcing, tri des C.V, gestion de candidatures spontanées, entretiens, sélection, rejets, etc.

Ainsi, en début de carrière, je découvrais un monde de l’entreprise, ouvert, sans doute, mais plutôt inapte à externaliser des services qui touchent de près ou de loin au pouvoir, au droit et au devoir de décider, aux problèmes de personnels et de management, au choix des hommes, à l’organisation, et auxquels s’ajoutent des (r)évolutions politiques, économiques et sociales.  Et de l'autre versant, des confrères qui venaient grossir  cette catégorie professionnelle d'intervenants et/ou de Consultants,  qui venaient de l'entreprise, de l'intérim et/ou de dissidents de cabinet bien établis et dont les façons de faire, de procéder et de faire de déontologie étaient étaient diverses et peu semblables et/ou académiques.

Une force impérieuse me poussait maintenant à poser les fondements de ce métier…Je commençais par prendre contact avec mes congénères et réfléchis à la meilleure façon de constituer une organisation et en établir les règles. Selon l’exemple des experts-comptables, ou des médecins, il s’agissait bien pour moi de créer un « Ordre » des conseils en recrutement.

Je me suis, cela va de soi, aussitôt heurté à la structure kaléidoscopique d’une profession polymorphe et protéiforme en même temps,  à la fois composée d’ingénieurs, de psychologues, d’économistes, et d’autodidactes et/ou non diplômés, mais tous se prévalant d'une expertise issue de leur propre parcours professionnel en management et/ou ressources humaines.  Chacun tirant la couverture à lui, personne n’était d’accord avec son voisin… Certains faisaient, comme moi-même, du recrutement, de la sélection, de la gestion du personnel, de l’audit, du bilan de carrière… D’autres préféraient la formation ou l’organisation industrielle, le marketing, etc...

Le marché du travail s’organisait.   Les entreprises elles-mêmes pour  bénéficier à moindre prix de prestations  de services que nous leur vendions du fait de notre métier, adhéraient  déjà  à des organisations patronales, des syndicats interprofessionnels ou professionnels, aux C.C.I. ou aux centres de productivité. Notons que ces organisations continuent aujourd’hui de faire une concurrence déloyale aux entreprises reconnues comme les nôtres, car les services qu’elles offrent à leurs ressortissants sont soit gratuits, soit dispensés à des prix très concurrents de nos structures de conseil. C’est également pour cela que j’ai pensé qu’il était important de se distinguer du lot avec une approche autre de l’entreprise, et de la façon différente dont je devais concevoir mes prestations de service métier.

Passionné par l’approche américaine qui, depuis le début de l’ère industrielle, s’est beaucoup intéressée à l’homme en tant qu’« acteur et effecteur » de l’organisation en dysfonctionnement, j'ai choisi d'opter dans ma mission de conseil de regarder l'entreprise selon une démarche mi sociologique et mi clinique, et ainsi de la vivre au sens clinique et biologique de la vie d'un corps et l’Homme, son acteur interne en  « sujet ».Très à l’écoute des approches psychologiques, psychosociologiques, et psychanalytiques de l’entreprise, ce fut pour moi une grande période de lectures comme de rencontres décisives. À l’occasion de déplacements aux USA, j’ai en effet assisté à de nombreuses sessions de formation, à des conférences faites par des intervenants tels que Peter Drucker, Harry Levinson, Carl Rogers, Abraham Zaleznick, F.Herzberg, Chris Argiris, ou A.H. Maslow. Je partage sous un autre angle l’approche et la vision psychanalytiques de l’organisation et du management développées par Manfred Kets ; celle de Devries, professeur à l’INSEAD et l’université canadienne ; celle d’Henry Mintzberg ingénieur et professeur de management à l’université Mac Gill de Montréal ; ou celle du docteur Thomas Gordon, spécialiste des rapports de force et des conflits de pouvoir à l’intérieur de l’entreprise. Celle enfin de Michel Hammer inventeur du Réenginering. Et en France, Pierre Goguelin, Hubert Landier, Octave Gélinier ou encore Hervé Seyriex m’ont influencé…

Il est vrai qu’à cette époque, mon approche de clinicien  dérangeait. J’en faisais un précepte incontournable et quelque peu dogmatique. J’étais en effet persuadé que ma méthode et mode de fonctionnement était bénéfique pour former les meilleurs Conseils en recrutement. Je vivais mal ceux qui me paraissaient « recruteurs-preneurs d’ordres »  et qui, selon moi, répondaient au « symptôme » du client plutôt qu’à la cause de celui-ci. Aux yeux des quelques confrères déjà installés, je passais donc pour un « psy » dérangeant, doctrinaire, sinon intolérant…

Pour mes clients du marché industriel, je représentais au contraire cet acteur nouveau et dynamique, un peu en avance sur son temps, certes un tantinet dérangeant, mais l’œil aiguisé et toujours professionnel et rigoureux Bien que venus de divers horizons, les acteurs de ces entreprises de conseil étaient cependant centrés sur les sciences humaines, la psychologie industrielle et l’organisation scientifique du travail.

Ainsi en 1964-1965, il y avait environ dix cabinets, soixante environ en 1970 et une petite centaine en1975… Quelle énergie dépensée pour continuer d’exister ! Deux ou trois d’entre nous sont d’ailleurs professionnellement nés en province tels que Claude Blique à Nancy, Séletec et Managing à Strasbourg, et Moreno à Reims.

En effet, après avoir commencé sous le nom de l’IFPA (Institut Français de Psychologie Appliquée), en tout début de l’année 1964, structure créée par Felix Cesselin professeur de psychologie et philosophie  je, me libérais de la franchise très vite pour m’installer à mon compte et en même temps participais parallèlement à la naissance de la société ORES, dont Xavier de Labrusse, son dirigeant, m’avait sollicité comme psychologue afin de procéder aux évaluations des candidats. Mais après s’être développée hexagonale ment, la société ORES fut absorbée par BOSSARD pour faire de la « chasse »…

Cependant, je bougeais suffisamment sur la scène professionnelle pour pouvoir être présent, entendu, reconnu malgré mon image iconoclaste : forums, tables rondes, conférences dans les écoles me permettaient de faire entendre ma position et de développer mon analyse des principes professionnels que j’entendais asseoir dans le monde de l’entreprise.

À l’époque, certains cabinets  disposaient de  structures pluridisciplinaires et sont venus au recrutement  activité qui se développait, et qui se justifiait pour eux  du fait qu'il intervenaient sur des prestations complémentaires à celui-ci . Ces cabinets  furent pour certains de bonne notoriété  comme Alexandre Tic, Bernard Krief (dont je fus en 1977-1978 Directeur Général des ressources humaines), Bernard JULHIET Conseil, CEGOS,, EGOR, MSL, PA Management Consulting, Egor,  CORT... d'autres comme moi plus centrés sur le recrutement et gestion de personnel comme ETAP, JUSTET, PLEIN EMPLOI, CAPFOR, OTAD Sélection, ORES,  LECOMTE, De BEAU MONT,  France Cadre, , SEFOP, CNPG Conseil, Gérard Desjeux etc...  et certains parmi ceux-ci faisaient approche par annonces et approche directe. Cette liste n'est en rien exhaustive mais ces cabinets figurent parmi ceux qui furent créés après le mien  et donc parmi les tous premiers

Nous étions maintenant sur la fin de l’âge d’or des« Trente glorieuses » (1945-1975). Ce furent des années laborieuses pendant lesquelles le volume de l’économie française a crû de plus de 5%. Des années où les chocs sociaux furent ponctués de grèves massives, symboliques, catégorielles et conclues dans la violence, jusqu’aux formidables acquis de Mai 1968. C’est aussi l’origine de la fracture qui apparaît plus tard avec le flottement généralisé des monnaies et le premier choc pétrolier en 1973. Ainsi, tandis que la croissance était ascendante, nous vivions paradoxalement une période d’errements pendant laquelle le chômage ne fit qu’augmenter.

Autre élément non négligeable à mettre dans la balance : la baisse démographique en 1972 pour laquelle les courbes de naissance et de mariages s'altérèrent considérablement.

Ainsi, en 1974, le président Giscard d’Estaing qui désirait desserrer l’étau en développant l’idée de la démocratie libérale, se laissa prendre aux pièges de la démagogie sociale que sont l’angélisme et la facilité politique. Il céda à ce sentiment de « culpabilité » propre à tout bon chrétien au sortir de la messe du dimanche matin, sentiment qui le poussa à indemniser le chômage à 90 %. Avec une mesure qui se voulait généreuse, on fabriqua une société d’assistés ayant un peu trop vite intégré qu’ils n’avaient que des droits… Ne sommes-nous pas le « pays fondateur des droits de l’homme et du citoyen » ? Même si ce n’est pas une sinécure, et s’il n’est pas  heureux de l’être, il est en effet aujourd’hui quasiment économiquement plus intéressant de rester chômeur que de travailler.

Cette époque fut forte en évènements, situations, circonstances d’un point de vue politique, social, économique, et c’est à ce moment que toute forme d’avancée social passa du général au particulier, du national au local car qu’ils s’agisse de conflits sociaux, de problème d’organisation ou de négociation, il s’agissait d’intervenir directement pour traiter les différends.Il semble que la société soit passée d’une pratique de conflits à une logique de négociation mais sans y réussir véritablement.

Le Général de Gaulle dans le cadre de sa politique social voulait développer la participation dans l’Entreprise pensant que la gouvernance de celle-ci serait plus aisée puisque ce faisant, il rendait actionnaire le salarié, et donc ainsi plus responsable , plus concerné  dans son travail, et réduisait les luttes de classe patron/ouvrier… Il fut même voté en 1973 une loi sur l’amélioration des conditions de travail et la mise en place du bilan social…Qu’en est-il  aujourd’hui ?

Peut-être est-on parvenu quelque peu à une vague humanisation de l’environnement interne, une plus grande concertation, un enrichissement plus avancé des  tâches et un relatif resserrement des hiérarchies, et fut supprimé par contre le travail au rendement… Tout cela pour calmer les tensions sociales que les plans sociaux que nous vivions et/ou avions subi « jetant à la casse humaine » bon nombre d’individus sortis malgré eux des entreprises de la sidérurgie, la métallurgie, le textile, la machine-outil, la mécanique, le Batt et TP, l’automobile….

Durant ces périodes de turbulences de transformation de la société industrielle nous avons vu autant de « crises » que nous en avons vécues ces dernières décennies. Le paradoxe étant que malgré une population pléthorique de demandeurs d’emploi, nous souffrons toujours et continuellement de pénuries de candidats adaptés et/ou en adéquation avec la demande ou besoin du marché du travail…

Que dire d’ailleurs de ce « réflexe stupide et débile conditionné » de tout Dirigeant et/ou DRH   qui consiste à ne recruter que des candidats dont l’âge  doit être de moins de 35 ans, ou de 30 ans ??

Mais d’aucun ne résistera pas quand il est interrogé de se vanter d’avoir une saine gestion RH avec une pyramide d’âge équilibrée !!!!

De même recruter une jeune débutant sorti de grande école et lui reprocher son manque d’expérience, et/ou le vouloir tout de suite opérationnel au principe sacro-saint que l’on prête au diplôme les vertus qu’il n’a pas, excepté d’être un outil de validation intellectuelle permettant de développer des automatismes et mécanismes plus en adéquation avec le besoin…N’est-ce pas inconséquent ?

Au-delà de cela, cette période a permis de faire du RECRUTEMENT une prestation de services externalisée  de l’Entreprise   répondant à un besoin du marché du travail sachant qu’aucun acteur publique et privé (sauf l’APEC, organisme institutionnel professionnel qui au fil des ans a développé des services aux cadres et entreprises quasi identiques à ceux des cabinets).   ne traitait pas réellement.

Les relations entre l’entreprise et les cadres  dans la première moitié du 20 ème siècle étaient directes, les catégories ouvrières et employés étaient plus suivies par l’ANPE. Par contre  dès la décennie 50/60 le marché  s’ouvrit de telle façon qu’il permit de rassembler  ou regrouper   3 types de population, les employeurs (entreprise), les cadres (salariés), les intermédiaires (cabinet et agences diverses) qui assurent la relation et réponse à la demande.

Et il est vrai que cette période favorisa comme une génération spontanée, « l’émergence « de ces  acteurs intermédiaires, professionnels et souvent très opérationnels dans tout ce qui touche au recrutement et à la gestion RH. et sont devenus  incontournables depuis ces années entre l’offre et la demande.

Le marché du Recrutement s’est structuré au fur et à mesure de son importation  des USA ou il existait depuis des années  à travers l’industrie automobile américaine et grâce à des acteurs éminents tels que Fayol  Taylor Drucker et autres .

En outre à côté du recrutement traditionnel par annonce, se développa simultanément le marché de l’exécutive Search appelé en France « Chasse de Têtes » ou Approche Directe. Elle concernait plus les cadres supérieurs et CEO. Souvent ce métier était exercé par des Managers et/ou ex-Managers d’entreprise qui détenaient  grâce à leur activité de Conseil de Direction en organisation industrielle , et/ou formateurs et/ou d’accompagnement  de dirigeants .un carnet d’adresses suffisamment solide et structuré.

Puis sont aussi intervenus comme je l'ai souligné plus avant, des  acteurs issus des grandes agences de communication et de publicité et/ou marketing, voire des journaux économiques et  professionnels qui eux développaient les annonces offres d’emploi qui ont développé une offre pour accompagner les entreprises et les cabinets pour avoir une lecture des annonces claire et moderne.
Et enfin le développement aussi de solutions logicielles favorisant la gestion du personnel, gestion de candidatures, de banques de données etc

Ceci étant, la décennie allant de 1965 à 1975 a tout de même marqué la naissance d’un métier qui cherchait ses racines, ses modes et ses méthodes, et surtout un statut, c’est-à-dire une identité face à l’entreprise, au monde du travail, à l’ANPE ou à l’APEC (née en 1966 : Association Pour l’Emploi des Cadres). [Fin de la première partie-Evolution du  Métier du RECRUTEMENT- 1960-1970-Rédigé par GUY MORENO CLINICIEN d’ENTREPRISE]

Catégorie : Reflexion édité le 31 Dec 2015 à 7h17.
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